I
Assise à l’entrée du Tombeau, les yeux fixés au loin sur le Nil, Renisenb suivait son rêve intérieur.
Il lui semblait qu’il y avait très longtemps qu’elle s’était assise ici pour la première fois après son retour à la maison de son père. Le jour où elle avait si gaiement déclaré qu’il n’y avait rien de changé et que tout était demeuré tel qu’elle le laissa huit ans plus tôt. Hori lui avait fait remarquer, elle s’en souvenait, qu’elle-même n’était plus la Renisenb qui partit avec Khay et elle lui avait répondu avec assurance qu’elle redeviendrait vite cette Renisenb d’autrefois.
Hori, alors, parla des changements qui viennent de l’intérieur, d’une pourriture que rien ne permet de déceler. Pourquoi il lui avait dit cela, elle le comprenait maintenant. Pour la préparer, parce qu’il s’était rendu compte qu’elle était aveugle et qu’elle jugeait sur leurs seules apparences les différents membres de la famille.
Il avait fallu l’arrivée de Nofret pour lui ouvrir les yeux. Avec Nofret, la mort était entrée dans la maison. Que Nofret fût mauvaise ou non, elle avait amené le mal avec elle et l’esprit du mal était toujours là…
Renisenb, une fois encore, se demandait s’il fallait tout attribuer à l’esprit de Nofret.
Nofret, mauvaise et morte…
Ou Henet, mauvaise et vivante ?
Renisenb frissonna et se mit debout. Elle ne pouvait pas attendre Hori plus longtemps. Pourquoi n’était-il pas venu ? Le soleil était déjà très bas sur l’horizon. Elle jeta un dernier coup d’œil autour d’elle, puis s’engagea dans le sentier qui descendait vers la vallée. L’heure était douce. S’il était venu, ils auraient savouré ensemble cette dernière heure du jour. Ils n’en auraient plus tellement de semblables ! Bientôt, quand elle serait la femme de Kameni…
Allait-elle vraiment épouser Kameni ? Brusquement, elle eut l’impression qu’elle sortait d’un rêve. Avec résignation, parce qu’elle avait peur, parce qu’elle ne savait pas très bien ce qu’elle voulait, elle avait accepté cet époux qu’on lui avait choisi. Mais, à présent elle se sentait redevenue elle-même. Si elle épousait Kameni ce serait parce qu’elle le voudrait, et non parce que sa famille le décidait. L’aimait-elle avec son beau visage rieur ? Oui.
En cette heure calme, elle se trouvait délivrée de la peur, et se souvint d’avoir dit un jour à Hori qu’elle tenait à descendre seule, une fois, ce sentier à l’heure où Nofret trouva la mort. Or, c’est ce qu’elle faisait en ce moment. C’était aussi l’heure et l’endroit où Satipy s’était retournée… face au destin qui la précipita dans le vide. Mais, pourquoi Satipy s’était-elle retournée brusquement ? Parce qu’elle avait entendu des pas, évidemment…
Des pas ? Mais Renisenb en entendait, qui marchaient dans le sentier derrière elle !
Elle eut l’impression que son cœur cessait de battre. La peur s’emparait d’elle. Ainsi, c’était vrai ! Nofret était derrière elle, Nofret la suivait…
Elle tremblait, mais elle ne pressa pas le pas et ne le ralentit pas non plus. Sa peur, elle la dompterait. Jamais elle n’eut une pensée mauvaise contre quelqu’un, et n’avait rien à se reprocher. Nofret ne pouvait rien contre elle. Elle tremblait, mais continua d’avancer. Rassemblant son courage, elle se retourna et vit Yahmose. Ayant sans doute eu à faire dans la chambre des offrandes, il était sorti du Tombeau peu après elle.
Elle s’immobilisa, avec un petit cri joyeux.
Yahmose ! Je suis contente que ce soit toi.
Il venait vers elle rapidement. Elle allait commencer une autre phrase, lui parler de ses craintes folles, mais les mots ne voulaient pas franchir ses lèvres glacées. Le Yahmose qu’elle avait devant elle, n’était pas le Yahmose qu’elle connaissait, son frère, toujours aimable et doux. Mais un homme qu’elle n’avait jamais vu, dont les yeux la dévisageaient avec une lueur mauvaise dans les prunelles, un homme dont les doigts crispés ressemblaient à des serres et dont le regard disait qu’il avait tué et qu’il allait recommencer. Cette expression cruelle qui déformait ses traits, le pli qui tordait sa bouche, tout le criait : l’assassin, l’ennemi impitoyable, c’était Yahmose ! Derrière le bon sourire de Yahmose, il y avait cela !
Renisenb poussa un petit cri.
Elle n’espérait plus rien. Contre la force de Yahmose, elle ne pouvait rien. À l’endroit même où Nofret était tombée, elle allait tomber à son tour…
Yahmose !
Dans ce dernier appel, qui n’était qu’un souffle, elle avait mis tout l’amour qu’elle avait eu autrefois pour son aîné. Il eut un rire qui n’avait rien d’humain. Puis il se rua vers elle, les mains ouvertes. Dans un instant, ses doigts se refermeraient sur la gorge de Renisenb…
Elle recula, adossée à la paroi rocheuse, les bras tendus en avant, dans un inutile geste de défense. Elle allait mourir, elle le savait.
Elle entendit alors un petit son musical, très léger, qui chantait dans l’air. Yahmose, brusquement, s’arrêta, chancela et fit un tour sur lui-même avant de s’abattre, face contre terre, aux pieds de sa sœur, avec un grand cri !
Elle le regardait, stupéfaite. Elle distingua l’empennage d’une flèche…
Elle s’approcha du bord du sentier et, dans la plaine, aperçut Hori. Il tenait encore son arc à la main.